En préambule
Il y a quelque années déjà, nous sommes parti·e·s en marche, sur les routes. Nous voulions aller à la rencontre des gens pour écrire les fictions de maintenant, pour produire un théâtre de maintenant. Il y avait tout un tas de raisons à cela. Nous avions alors écrit un texte, un peu comme une note d’intention, qui expliquait ces raisons. Après tout ce temps, nous trouvons qu’elles sont encore tout à fait valables, et même qu’elle nourrissent pour nous une nécessité première. Une nécessité de se mettre en route pour comprendre. À l’époque, nous avions le sentiment que se mettre en route n’était pas aussi simple qu’on pourrait le penser, et que souvent, pour mettre en application un principe simple, il faut beaucoup de discipline. C’est pourquoi nous avions imaginé un protocole. Vous trouverez cette note d’intention et ce protocole sur notre site web.
Mais il ne s’agit pas tout à fait de cela ici. Ou plutôt, il s’agit de cela avec, de surcroit, ce que produisent le passage du temps et l’éprouvé de l’action. À travers ce journal sensible, nous avons saisi l’opportunité d’une marche pour rendre compte de ce qui « travaille » quand nous partons arpenter un territoire. Ce qui suit est le produit sensible des rencontres, interviews et spectacles qui se sont déroulé·e·s lors de la Marche d’été 2021 sur le territoire de l’Ardèche. Ces textes sont le témoignage de trois comédiennes qui observent comment elles sont traversées en tant qu’artistes par les histoires qu’elles découvrent et les paysages qu’elles arpentent. C’est aussi un moyen de rendre compte de ces histoires, de leur diversité, et de les restituer dans une vérité, qui ne sera pas le déroulé clinique des faits, mais la vérité que produit toute mise en récit. Nous espérons que votre lecture sera agréable.
30 Juillet, soir, Saint-Peray.
J’ai rencontré Chantal à Tournon et j’ai marché avec sa voix dans les oreilles jusqu’à Saint-Peray. Soleil, et peut-être quelques gouttes de pluie éparses. Enthousiasme. Plaisir de regoûter ces sensations mêlées, mélangées, imprégnées. Peur, adrénaline, courage, égarement, confiance, doute, bouleversement positifs. Les fois d’avant, c’était il y a quand même quelques années. En Drôme dioise, puis en Drôme des collines…
Une arrivée au poil. Maryline, la journaliste qui connaît bien son sujet. C’est agréable. L’arrivée dans ces rue inconnues aussi. On se met tout de suite en quête de rencontres, on recherche nos spectateurs. J’ai un peu de mal à entrer en contact. J’ai chaud et je suis sale. Mais je vois Anne-Sophie et Isabelle qui discutent avec des personnes aux terrasses des cafés, dans les rues, et ça me rassure. Elles assurent : une dizaines de personnes font le déplacement.
Première représentation. Nouvelle première. Retour
Déterminer un ordre de passage. Passer du calme et de l’intériorité et de la contemplation active, au cadre, au partage et à la représentation. Adaptation. Ecoute. Concentration. Improvisation.
Je voudrais parler de ce passage là. De la difficulté de rendre concret, lisible, ludique, un moment d’intimité.
Plus tard, après la représentation…
Nous sommes attablées dans la crêperie bretonne, réellement bretonne, puisque le propriétaire est breton. Le temps est raccord, il pleut comme souvent en Bretagne. Nous nous partageons un pot de Côte-du-Rhône local qui donne à nos joues de belles couleurs et qui nous désinhibe un peu. Nous en avons bien besoin en cette fin de première journée. Les interviews à Tournon ont été plutôt simples à réaliser (peu de refus), la marche fort belle sur un chemin campagnard, chacune écoute son interview du matin, revit, s’imprègne et se projette pour jouer à 18h30. La première représentation est de celles qui donnent confiance pour les suivantes. Mais, mais, mais, l’ultime défi de la journée n’est pas encore gagné. A l’issue du spectacle nous étions sensées demander aux personnes présentes le gite pour la nuit. Offrir, nous sommes calées, demander, nous sommes gênées. Nous avons donc zappé cette étape et nous nous retrouvons à 21H dans cette crêperie sans savoir où nous logerons cette nuit. Le breton nous apporte notre commande.
« Monsieur, nous cherchons un endroit où dormir ce soir, pourriez-vous nous héberger ?
– Je suis désolé, je dors en ce moment avec mon chien et ma femme dort sur le canapé. Ce n’est vraiment pas le moment que je rentre avec trois comédiennes. »
Nous soupirons et nous rions. On se promet de s’empuissancer chaque jour un peu plus.
2 commentaires
Ajouter les vôtresC’est sensible de se relire, de relire les heures d’été et ce, à l’heure d’automne. Cette distance de trois mois qui nous fait vibrer encore mais aussi ancrer ce passé récent dans l’utilité de notre présent.
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