[Marche d’été 2021] Journal Sensible – 2 août, Saint-Agrève

Sur le panneau d’affichage de la ville, notre spectacle était annoncé et l’adresse aussi. Mais en descendant la rue principale, elles ont vu un autre café. Et juste à coté, un espace de gravier, entouré de murets en pierre en arc de cercle. Un théâtre naturel.

Rendez-vous était donné sur la terrasse du café Les copains d’abord. Sur le panneau d’affichage de la ville, notre spectacle était annoncé et l’adresse aussi. Mais en descendant la rue principale, elles ont vu un autre café. Et juste à coté, un espace de gravier, entouré de murets en pierre en arc de cercle. Un théâtre naturel. Avec des assises pour les spectateurs, et un plateau, pour nous. Le tout au soleil. C’est ici que nous allons jouer. Comme nous l’avait conseillé Nadège V, l’adjointe au maire de Saint-Agrève. On se disperse, avec pour mission d’indiquer aux gens que nous croisons que le lieu a changé pour la représentation. Et aussi pour trouver de nouveaux spectateurs parmi ceux qui ne nous attendaient pas. C’est comme ça que je tombe sur Charlotte. Je l’invite à venir voir notre proposition et elle me dit : «Ah, c’est justement vous que je cherchais, je suis Charlotte.»

Le soir, c’est elle qui nous offre l’hospitalité. Anne-Sophie avait pourtant tenté de me faire héberger chez le monsieur qui m’a remercié d’avoir cité les mots d’Aragon dans mon improvisation, mais il avait répondu : «Non non, allez toutes chez Charlotte, vous serez bien mieux reçu.» Grâce à elle donc, on passe notre plus douce soirée de cette semaine d’itinérance. Le bon vin du café-librairie de son compagnon, la chaleur du lieu, et la beauté des couleurs assemblées: le vert, le rouge, et le violet des fleurs des champs dispersées tout autour du site. Puis, plus tard, dans la grande maison qu’ils occupent, on partage un repas, on se raconte un peu, du mieux qu’on peut. Isabelle rattrape le sommeil qu’elle n’a pas connu la veille ni l’avant-veille, bien emmitouflée tout en haut de la maison. Moi, je ris longtemps avec Anne-Sophie. Nous rions en nous couchant dans ce grand lit confortable et nous rions en nous réveillant. Un bon moment, sans vraiment se parler. Juste rire. Un excellent moyen de démarrer une journée. Une belle raison même.

Je repense à cette journée de la veille. Intense. J’avais fait une rencontre particulière à Lamastre. Aziz. Il s’était livré très fort. Et, en route pour Saint-Agrève, je savais que j’avais la responsabilité de faire vivre son témoignage, sans le trahir, et sans le romancer non plus. Et qu’il reste anonyme. Je voulais garder l’essence de son récit, sa voix, son rythme de parole,  mais surtout pas l’imiter, et surtout pas me servir de lui pour inventer quelqu’un d’autre. Dur dur.

Sur la route donc, me revient l’air de la chanson de Jean Ferrat «Que serais-je sans toi», sur un poème d’Aragon. Je la chantonne dans la Kangoo, le long du chemin, et devant l’enclos des vaches, à l’endroit où l’on s’est arrêté un moment pour écrire, réfléchir à nos impros, ou se reposer. Cette chanson sera mon lien. Aziz avait parlé de sa douleur suite à la mort de sa compagne, et de ses difficultés à faire face depuis ce jour. Tandis qu’un vacancier, rencontré juste avant, m’avait dit n’avoir pas tellement de peurs, à part la maladie peut-être : «oui bien sûr, évidement, j’ai peur d’attraper une cochonnerie, mais à part ça… Je suis en vacances avec mon épouse, on est libre, on va ou on veut avec le van… Hier, je me suis arrangé – comme à chaque qu’on vient dans la région – pour passer à Antraigues, sur la tombe de Jean Ferrat. J’adorais c’chanteur.» Entre Aziz, le vacancier et moi, il y avait donc «Que serais-je sans toi».

Que serais-je sans toi qui vins à ma rencontre ?

Que serais-je sans toi qu’un coeur au bois dormant

Que cette heure arrêtée au cadran de la montre ?

Que serais-je sans toi que ce balbutiement ?

J’ai tout appris de toi sur les choses humaines

Et j’ai vu désormais le monde à ta façon.

J’ai tout appris de toi, comme on boit aux fontaines

Comme on lit dans le ciel les étoiles lointaines.

Comme au passant qui chante, on reprend sa chanson

J’ai tout appris jusqu’au sens du frisson

Que serais-je sans toi qui vins à ma rencontre ?

Que serais-je sans toi qu’un coeur au bois dormant

Que cette heure arrêtée au cadran de la montre ?

Que serais-je sans toi que ce balbutiement ?

(…)

Que serais-je sans toi ? 

Paroles Louis Aragon  1956

Musique Jean Ferrat 1964

 

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