Protocole des marches…

ou la fabrique d’un théâtre d’improvisation permanent, en itinérance.

Ce protocole d’action a été pensé dans le cadre du projet « Peurs Sociales et Intimes ». Sa mise en application constitue à nos yeux un idéal de la pratique du théâtre, du moins de la pratique d’une recherche à vocation théâtrale. L’une de ses forces est qu’il soit l’application de principes très simples. Cela le rend adaptable à tous les sujets possibles, ainsi qu’à tous les contextes imaginables. Nous le présentons ici dans sa conception première, c’est à dire en vue de pratiquer une recherche itinérante. La simplicité de ce protocole n’est qu’apparente, chacune de ses composantes implique une véritable discipline, une éthique concerté, une déontologie partagée. Chaque phase est très demandante pour l’artiste et est souvent l’occasion d’un questionnement très profond, qui peut occasionnellement heurter et déstabiliser. Sans une véritable implication des artistes, tout ou partie du protocole est mis à mal. C’est pourquoi nous le pratiquons uniquement dans des durée limitées : maximum une semaine.

Globalement, le protocole se fonde sur quatre principes : la collecte d’interviews, la marche, le travail d’improvisation sur canevas (fournis par les interviews), le spectacle à proprement parler.

Il est pensé pour perdurer dans le temps quelque soient le nombre de participant.e.s. C’est à dire qu’il n’est pas nécessaire que les participant.e.s reconduisent leur présence sur toutes les saisons. Certain.e.s artistes peuvent ne participer que le temps de quelques étapes, leur contributions sera de toute manière pertinente. Notre protocole est fait pour survivre aux individualités et aux aléas des carrières artistiques de chacun.

En préalable, nous établissons une boucle territoriale de huit étapes soit une semaine plus un jour. Nous veillons à diversifier au maximum chaque étapes, notamment en terme d’échelle, de densité de population et de diversités d’activités. Cette boucle peut éventuellement être concertée avec un organisme partenaire : une collectivité territoriale, un parc naturel régionale, une communauté de commune, le territoire d’une AOC etc… Bien que la thématique des « Peurs Sociales et Intime » nous apparaît comme un arrière plan plutôt incontournable dans nos sociétés actuelles, une ou plusieurs thématiques de recherches plus spécifiques peuvent aussi être discutées avec les partenaires éventuels.

Ensuite chaque journée se déroule comme suit. Ainsi, sur la course du soleil, un spectacle complet et nouveau est créé. Comme on va le voir, chaque artiste est impliqué·e dans l’ensemble des composantes de ce spectacle et se retrouve responsabilisé. Hors du confort mais aussi de la contrainte d’être tributaire d’une personnalité surplombante qui dirigerait tout.

1) Collecte d’interviews : Elle se déroule le matin à chaque étape dans un lieu fréquenté. Il peut aussi advenir qu’un.e comédien.ne ait pris rendez-vous la veille, au grès des rencontres. Elle dure entre 15mn et 1h suivant la personne. Nous essayons de ne pas dépasser cette durée. Il n’y a pas de questionnaire type, l’interview se déroule sous la forme d’une conversation. Elle est enregistrée avec l’accord de la personne sur smart phone (pour ne pas intimider la personne avec un équipement trop impressionnant). La personne interrogée doit être informée de la nature du travail effectué. L’artiste qui pratique l’interview doit impérativement suspendre son jugement vis-à-vis de la personne interrogée. Nous essayons de travailler dans la plus grande bienveillance possible quelque soit la parole et les opinions que nous recueillons. L’ artiste ne doit pas non plus se laisser déborder par la personne, il doit pouvoir guider la conversation vers la thématique voulue en douceur. Nous partons du principe que la parole de la personne est précieuse, qu’elle nous est donnée gratuitement et donc qu’elle doit être respectée au maximum.

Pour plus de précisions par rapport à ce qui fonde véritablement Les Interviews, nous vous invitons à vous référer au paragraphe du même nom sur la page « Un Futur Retrouvé ».

2) Marche : La marche est utilisée par les comédien.ne.s pour plusieurs raisons. Tout d’abord pour relier chacune des étapes. Ensuite, nous utilisons l’effet méditatif lié à la marche pour « digérer » les interviews effectuées le matin. En effet, il arrive que certaines paroles recueillies soient extrêmement « chargées » en émotions diverses et les comédien.ne.s peuvent, grâce à la marche, « décompresser ». La marche est laissée libre aux comédien.ne.s. C’est à l’équipe de l’investir et de la nourrir comme elle l’entend. Il est à noter qu’il n’y a aucune dimension performative dans la pratique de cette marche, si les membres sont fatigués, il peuvent faire appel à notre voiture balais (présente sur le terrain pour transporter les bagages, la nourriture) pour finir l’étape. 

Une autre idée forte sous-tend la marche. Nous voulons éprouver physiquement un territoire, et ramener celui-ci à notre individualité. Nous sommes persuadés de l’importance de la nature environnementale d’un territoire dans la fabrique d’une individualité. Le récit d’une vie prend nécessairement place quelque part. En amont, nous travaillons donc sur des notions d’urbanisme, d’architecture, de répartition de population, de bassin de peuplement, de pôles d’activités pour concevoir la boucle des étapes. Celle-ci doit pouvoir rendre la plus grande diversité d’environnement.

3) Travail d’improvisation : Les comédien.ne.s utilisent le temps de marche pour intérioriser les interviews, les synthétiser, les travailler en vue du spectacle du soir. Ce peut-être une activité collective ou solitaire selon les humeurs et le matériau recueilli. C’est à cet effet que les interviews sont enregistrées. Elles servent de canevas pour l’imaginaire et ancrent les futures improvisations dans une réalité de terrain. Chacun peut donc se replonger dans sa collecte du matin et la faire maturer jusqu’au soir de la représentation. Il en découle qu’à l’arrivée d’une nouvelle étape, chaque comédien.ne est en mesure de se faire un très court résumé de ce qu’il compte improviser.

4) L’invitation : Les comédien.ne.s préparent la tenue du spectacle par la constitution de son public. Chacun·e fait de son mieux pour inviter toute personnes se trouvant autour de l’espace choisi pour la représentation. C’est d’abord un moyen de responsabiliser les artistes par rapport à la matières théâtrale qu’elles et ils ont constituée en vue du spectacle. Si cette matière revêt une quelconque importance à leur yeux, alors cette matière les oblige. Fournir cet effort sans se reposer sur une communication quelconque ne doit plus être une obstacle.

Pour plus de précisions par rapport à ce qui fonde véritablement l’Invitation, nous vous invitons à vous référer au paragraphe du même nom sur la page « Un Futur Retrouvé »

5) Les spectacles : De manière générale, les spectacles dépendent des collectes d’interviews réalisées le matin et des lieux dans lesquels ils sont joués. Il en découle que dans ce cadre de travail de terrain, la Compagnie Augustine Turpaux s’affranchit de toute technique liée habituellement à l’idée de spectacle. Il n’y a donc ni lumières, ni système de sonorisation, ni scénographie. Elle préfère travailler sur son adaptabilité et la contextualisation de son travail sur un lieu donné. En amont du spectacle sont très rapidement discutés les enjeux et les matières recueillies. Il peut en découler un canevas plus large que l’improvisation de chacun·e et mettre en jeu un faisceau de thématique et des interactions plus complexes. Un lieu est choisi selon différents critères liés à la mise en scène discutée et qui restera simple.

La représentation est donnée. Un débat est ouvert avec le public. Nous l’encadrons avec la même discipline de suspension du jugement que celle que nous appliquons à nos campagnes d’interviews.