Si on se réfère aux statistiques 2020 d’Eurostat (Office européen de statistiques), les Femmes touchent un salaire inférieur de 15,5% que les Hommes. En 2020 les Femmes travaillaient gratuitement à partir du 4 novembre (communiqué par les Glorieuses et Rebecca Amsellem).
Ce qui représentent sur 2020, 41 jours de travail non-rémunérés.
Depuis 2015, ces chiffres ont, chaque année, permis une prise de conscience de ces écarts et inégalités de salaires.
Le point de bascule qui permettrait de rééquilibrer la balance n’est toujours pas atteint malgré la pertinence des travaux de plusieurs féministes et collectifs oeuvrant à élaborer des pistes de réflexions.
Il faut tenir mais ça va prendre encore du temps.
Car tant qu’il n’y a pas de réelle volonté politique à agir pour exploser les plafonds de verre et réduire les inégalités salariales rien ne bougera…
Et depuis que ces inégalités ont été mises en lumières, en 2015, rappelées en 2016, puis en 2017, réitérés en 2018, rabâchées en 2019, et en 2020, on peut observer que les changements sont lents à mettre en place.
Si on changeait d’angle ?
Si on cherchait à « récupérer ce temps volé » d’ici à ce que les politiques influent vers un réel équilibre ?!
Abordons le problème par le prisme du temps.
Essayons de changer le cadre d’acceptation de l’usage et de l’organisation de notre temps.
Déserter nos espaces de travail 40 jours d’affilé nous mènerait assurément à perdre nos emplois.
La précarité est déjà assez élevé. Ne nous mettons pas plus de bâtons dans les roues !
Alors, si nous échelonnions nos absences au sein de nos milieux professionnels pour habiter un autre espace-temps ?
Quand on habite des lieux, il est entendu qu’il faut répartir son temps.
Quand je parle de lieux, j’entends les espaces d’habitation, de travail, de transports, de loisirs mais aussi de servitude, encore parfois inconsciente mais qui ont depuis plusieurs années des noms pour les qualifier : charges mentales, psychiques, sociale, soin…).
Alors il nous faudrait habiter notre temps de manière active et donc s’établir en plusieurs lieux « temps ».
Le lieu « temps » est pourtant immatériel, abstrait.
Le temps est une dimension, une notion à laquelle nous sommes tou·te·s soumis·e·s.
Une convention indiscutable, d’une durée insaisissable, qui nous file littéralement entre les doigts…
Jusqu’ici à priori.
Si on décide d’habiter son temps, il faut alors s’établir, en choisissant un lieu en dehors de nos quotidiens, ainsi nous créons un nouvel espace-temps « préservé ».
Il faudrait donc pouvoir élargir, étirer ces moments fugaces où on se laisse divaguer, où on prend du temps pour soi, pour lire, pour vivre des moments de solitudes ou des moments de partage, pour ne rien faire…ce qui amène souvent à penser !
Depuis mars 2020 nous avons tou·te·s imprimé dans nos corps, le temps, l’immobilité et l’injonction à se regarder soi, les sien·ne·s, à observer son intérieur, son mode de vie.
Agréable ou désagréable sensation, c’est un fait que le monde entier aura vécu.
Cette période aura révélée de manière flagrante les inégalités profondes des conditions de vie de classes, de salaire, de cadres de vies, d’emplois, d’accès au soin…
Nous sommes des êtres sociaux mais cette vie sociale nécessite de prendre du temps pour la rencontre, la compréhension d’un·e autre. Ces liens demandent ensuite de l’attention, de l’entretien. Du temps, du temps et encore du temps.
Or, le modèle de vie dans lequel nous vivions jusqu’à l’année dernière ne nous donne plus la liberté de jouir de notre temps en répondant à nos besoins profonds.
La course va probablement reprendre de plus belle une fois la situation rétablie, il est alors nécéssaire d’exprimer ici un modèle transverse pour préserver du temps.
Les expériences plus ou moins heureuses de friches artistiques, d’associations et de collectifs, de militantisme que je mène maintenant depuis une quinzaine d’années n’ont toujours pas éteint mes idéaux. Même si certains ont été mis à mal, dans le sillage de déceptions individuelles et collectives, d’erreurs de parcours, parfois des tromperies, il y a toujours quelque chose en moi qui me pousse vers ces idéaux portés à plusieurs pour un meilleur-être individuel et collectif.
La période actuelle semble propice à penser l’évolution des cadres déterminés.
Alors soyons actrices de ce changement en jouant des chiffres !
Tentons cette expérience que certain·e·s nomment déjà une utopie : un mot très joli pour intégrer pour soi l’idée que tout le monde pense que c’est irréalisable. Combattons cette idée.
Pour ce faire, il faut pouvoir penser qu’on peut créer en dehors de cette convention du temps qui entend qu’une semaine de travail équivaut à 5 jours d’affilé, se terminant par 2 jours de repos ; qu’un mois équivaut à la succession de 4 semaines.
Ce que je cherche à proposer avec l’expérience du Féministère, c’est de se réapproprier ce temps qui ne nous appartient plus et ne retombe même pas d’une manière pécuniaire dans nos poches.
Reprenons ce temps perdu :
40 jours de travail gratuit sur 365 pour 2020.
C’est 8 fois 5 jours ouvrés plus les weekends, à récupérer de notre temps de vie.
L’équivalent de 2 mois sur 12.
40 jours par an, c’est ce que les Françaises pourraient/devraient s’offrir de temps et d’espace dans l’acquisition d’un bâtit, d’une maison où passer ces temps de récupération.
En devenant propriétaires, chaque femme pourrait donc constituer un « matrimoine » en son nom propre.
Echelonnons ces temps entre-nous, en les imposant à nos cadres professionnels, à nos familles à nos aînées, à nos enfants. Prenons en compte entre nous des énormes freins et difficulté que le contexte nous impose.
Il n’est pas question d’une revanche mais bien d’une récupération, une manière de matérialiser concrètement ce temps inconsidéré comme un « bien » revendiqué légitimement.
Une manière pour que les institutions, entreprises, modèles sociétaux puissent observer un changement micropolitique (comme dirait mon ami sociologue Thomas Arnera) qui oeuvre réellement à l’égalité de traitement par la récupération de temps.
Imposons des moments de désertion de nos quotidiens, où tout un travail invisible, insoupçonnable, et où nos compétences sont encore évaluées comme inférieures à celles de nos homologues masculins à responsabilités pourtant égales.
Alors, achetons-nous un lieu, où nous irons à tour de rôle passer ces moments volés, usurpés par la rapidité du monde et son fonctionnement qu’impose la domination des un·e·s sur les autres.
Compensons ce que nous ne gagnons pas en mutualisant un espace acheté à plusieurs pour y retrouver notre temps.
Si l’on répartissait ces 8 semaines de récupération, sur les 4 trimestres en s’appuyant sur les saisons, chaque femme qui deviendrait propriétaire du bâtit pourrait prétendre à 1 semaine de « retraite » toute les 6 semaines.
L’équivalent de 2 semaines pas saison, non pas de vacances mais de véritable retour à soi.
Fixer sa demeure en un espace, c’est prendre naissance, s’implanter et s’instaurer.
S’installer en un lieu de manière durable, pour y travailler un changement notable dans son quotidien, pour rendre sa situation plus stable et confortable.
Pour lire les précédents billets à propos du Féministère c’est ici : 1 Le Bon Moment / 2 D’où je parle
4 commentaires
Ajouter les vôtresDe toute pensée avec ce texte (et … Proust !)
Très intéressante proposition que j’exprime souvent autour de moi : prendre le temps de se rencontrer, de parler, de tisser le lien, prendre le temps oui, se l’approprier pour habiter non pas des lieux, mais nos corps, tout simplement.
Un bémol cependant. Vous citez Rebecca Ansellem. Au nom de la sororité que nous devons développer les unes envers les autres, je ne souhaite pas la dénigrer mais j’ai un doute concernant ses valeurs car sa newsletter féministe a connu un partenariat avec l’Oréal dont on connaît les liens de son fondateur avec l’extrême droite. Je suis toujours sans réponse à 2 messages que je lui ai adressés à ce propos.
Je pense que le féminisme ne peut pas, ne doit pas s’accommoder des procédés néolibéraux. Pour réaliser l’autre monde, le féminisme doit rompre toutes formes de liens avec le passé capitaliste et patriarcal.
Merci pour vos réflexions.
Bien à vous.
Béatrice Brérot
Merci pour votre commentaire. Ici l’idée va même un peu plus loin que celle de la rencontre, Anne-Sophie suppose aussi que l’on aille à sa propre rencontre et que pour cela, il faut trouver des espaces, des espaces de solitudes choisies, prioritairement, pour pouvoir penser, et peut-être ensuite mieux réinvestir le champ social. C’est une vaste question, nous ne faisons qu’éffleurer les enjeux… Anne-Sophie cite Rebecca Ansellem pour son travail et son apport aux différentes problématiques. Nous partons du principe qu’une personnes est complexe et ne devrait pas être réduite à des choix plus ou moins heureux, ce qui constitue un biais de raisonnement malheureureux qu’on appelle « culpabilité ou déshonneur par association ». Il n’y pas de pureté en ce monde. Il n’y a que des erreurs à rectifier humblement. Pour ce qui est de se dégager du capitalisme, ce qu’Anne-Sophie propose consiste en une sorte de hacking depuis l’intérieur. Toute rupture entraîne la constitution de niches, niches de pensées, niches qui comportent aussi un certain confort, qui permettent de penser un idéal. Toutes ces niches sont extrêmement interessantes et nourrissent en profondeur qui s’y intéresse. Mais le reste du monde n’y a pas ou peu accès. Ce projet vise précisément le reste du monde, ce monde n’étant pas nécessairement rompu à la multitude des féminismes possibles, en posant l’idée du temps comme point cardinal, immédiatement perceptible pour toutes, quelque soit le point de départ idéologique de chacune.
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