Maintenant… Est ce le bon moment ?
Quand les traumas sont enfin considérés comme tels, actés comme des violences vécues, que ces violences resurgissent au quotidien dans nos intimités, que celles-ci s’expriment dans la société, collées sur les murs, scandées dans les rues, par nos corps et nos voix, alors, les traumas sont enfin partageables, sans honte, sans culpabilité.
Car ces traumas sont la résultante d’un système, d’un régime, qui a fait le pari de la domination.
Maintenant…
On peut se sentir entouré·e·s par d’autres, qui, à travers leurs témoignages, leurs prises de risques, osent mettre des mots, osent exprimer leurs sensibles bafoués, osent en grand nombre maintenant : « contre dire ».
Est ce le bon moment ?
Là encore, faut-il veiller à la rechute, car le vertige est énorme et l’appréhension de perdre le peu qu’on a peut être plus forte.
Il y a eu des précédent·e·s… des vagues annonciatrices.
Celles et ceux qui s’élevaient déjà contre, ont jusqu’alors toujours été méconsidéré·e·s, invalidé·e·s, incompris·e·s par peur d’un changement de paradigme.
Là encore, mon instinct de vigilance ne peut pas mettre de côté le phénomène qui s’incarne dans le pink washing ou les féminismes de surface, dont certain·e·s personnes se drapent en passionarias ou parce que c’est (re)devenu à la « mode ».
Une fois ces connaissances intégrées, intimement, on pourra alors peut-être réussir à dépasser cette peur, ce déni, ce vertige, pour accepter que le reflet dans le miroir est bien celui d’une victime.
Que oui…Repérer cela c’est déjà bien en soi, c’est admettre le chaos mais ce n’est pas définitif. C’est une blessure qui cicatrisera comme elle le pourra.
Ce n’est certes qu’une partie du chemin mais l’admettre c’est déjà se donner les moyens d’un dépassement.
Plus encore, il est possible de repérer que ce miroir n’est peut-être pas non plus totalement infranchissable.
Malgré les plaintes, les révélations, les vagues consécutives de #metoo, les débuts de prises de conscience de nos soeurs et de nos frères, les luttes extrêmes, « radicales », les tentatives de récupérations abouties ou avortées, les destitutions des un·e·s quand d’autres s’en sortent encore et tiennent toujours le pouvoir entre leur mains, les paroles traumatiques libérées encore un peu plus, le système économique qu’est le capitalisme reste l’arme parfaite pour que le patriarcat se maintienne… Encore.
Jusqu’a maintenant, les femmes, les précaires, les minorités et personnes considérées à la marge ont été renvoyées dans les cordes, hors zone, hors radar, considéré·e·s comme des signaux faibles, de faibles voix pour de « pauvres causes ».
Quand le corps féministe s’unit et fait entendre ses multiples voix pour mener des actions fortes afin de questionner publiquement le fonctionnement institutionnalisé et dirigé dans les hautes instances par le genre « pater », il lui est inlassablement renvoyé les mots radicalité, misandrie, séparatisme et discrédit…
Le discrédit est celui que je redoute le plus car il renvoie à une forme d’amnésie et d’une non reconnaissance des alertes qui ont été proférées par certai·n·e·s avant le bon moment.
Le discrédit sert à éteindre les braises et petites flammes qui avaient pourtant pris.
Maintenant, semble le moment, il faut s’exposer, sortir des rangs et se mettre en action.
Déplacer les réflexions au centre de nos corps pour leur donner l’allant, se tendre vers, et faire corps commun avec nos semblables.
Le système nous a invisibilisé·e·s mais à nous tout·e·s, nous pouvons nous faire de la place et nous offrir du temps.
Car nos besoins essentiels d’émancipation se trouvent dans le temps et l’espace.
Pour s’affranchir, il faut pouvoir se délivrer du temps pour penser, se penser, penser le pouvoir, penser le monde pour en percevoir les failles et les possibilités d’élévations, se percevoir différemment dans celui-ci, s’emplir du pouvoir de la pensée, se réincarner et se réinventer au monde pour en devenir actrices et acteurs contextualisé·e·s.
Pour s’affranchir, il faut pouvoir se retrouver un certain temps, dans un espace « un peu à soi et beaucoup à nous ».
Pour s’affranchir, il faut pouvoir se mouvoir, se rendre mobile entre la société et soi. Les mots sont le premier pas mais il faut maintenant proposer des modèles pour dérouiller tout le corps et se donner confiance.
Il n’est pas question de scission, de fragmentation sociétale entre Femmes et Hommes mais au contraire de retrouver du temps pour comprendre et chercher des moyens de dégripper la culture de domination et ses corollaires : concurrence des individus sur des marchés qui nient l’humain, prédation, usurpation, maintient de la culture violente de dominations…
Le capitalisme est la règle d’un jeu qui paraît immuable, jouons-en, pour nous jouer de lui.
En tant que féministe je m’adresse ici à mes soeurs de tous âges, étudiantes, en couple, pauvres, riches, célibataires, mères, travailleuses ou chômeuses, compagnon·ne·s en marge, en situation de handicap : entre-émancipons nous !
Parlons-nous, trouvons-nous, imaginons des espaces-temps pour nos pensées et construisons ensemble des versions de nous, en dehors des cadres attendus du capitalisme patriarcal.
Prenons rendez-vous avec nos conseillèr·e·s à la banque, soyons assurées, encourageons-nous, supportons nous, exprimons que nous souhaitons sortir de la précarité et devenons propriétaire, non pas en couple, non pas sous l’égide d’un parent ou d’un héritage mais entre nous, entre femmes conscientes de ce besoin de solitude choisie, en mettant en commun nos parcours et surtout nos envies, nos confiances.
C’est le bon moment.
Le moment pour se réparer, pour prendre soin de soi, de nous autres, pour s’élever, pour imaginer ensemble que tout cela se fasse selon nos manières et nos critères.
C’est le moment pour créer un premier féministère.
2 commentaires
Ajouter les vôtresTrès beau texte, qui parle doux et vise juste. Oui empuissançons-nous. Vraiment partante.
Allez!!!