Voici les six principes fondamentaux qui constituent le protocole et l’éthique de ce projet artistique
1) Collecte d’interviews
Elle se déroule le matin à chaque étape dans un lieu fréquenté. Il peut aussi advenir qu’un.e comédien.ne ait pris rendez-vous la veille, au grès des rencontres. L’interview dure entre 15mn et 30 minutes suivant le temps que la personne peut accorder. Il n’y a pas de questionnaire type, l’interview se déroule sous la forme d’une conversation. Celle ci peut-être enregistrée sur dictaphone, avec l’accord éclairé de la personne. L’artiste qui pratique l’interview a la consigne de suspendre son jugement vis-à-vis de la personne interviewée. Nous partons du principe que la parole de la personne est précieuse, qu’elle nous est confié dans la confiance et qu’elle doit donc être respectée. Cela n’empêche pas en fin d’interview d’apporter calmement sa version si des propos nous ont fondamentalement heurté.
2) La Marche à pied
La marche est utilisée par les comédien.ne.s pour rejoindre au maximum l’étape du soir. L’effet méditatif de la marche offre le temps nécéssaire d’intérioriser les interviews, les synthétiser. Ainsi les comédien·nes travaillent mentalement en vue du spectacle du soir, tout en marchant. Nous voulons éprouver physiquement un territoire, et intégrer intimement celui-ci à notre individualité. Nous sommes persuadés de l’importance de la nature environnementale d’un territoire dans la fabrique d’une psyché individuelle mais également collective. Le récit d’une vie prend nécessairement place quelque part, avec d’autres personnes et contextes. En amont, nous travaillons donc sur des notions d’urbanisme, de répartition de population, de bassin de peuplement, de pôles d’activités, d’histoires territoriales (…) pour concevoir la boucle des étapes. Celle-ci doit pouvoir rendre la plus grande diversité d’environnement : une grande ville, des zones périurbaines, un hameau, un site remarquable, un village, une zone touristique ou patrimoniale, un bourg…
Enfin, il est à noter qu’il n’y a pas de dimension performative dans la pratique de cette marche, si les conditions climatiques sont défavorables notamment les températures ou si les artistes sont fatigué·es, ils et elles peuvent faire appel à la voiture balais, présente sur le terrain pour transporter les bagages, la nourriture ou rejoindre l’étape en stop.
3) Travail d’improvisation
Ce peut-être une activité collective ou solitaire selon les humeurs et le matériau recueilli. C’est à cet effet que les interviews sont enregistrées. Elles servent de canevas pour l’imaginaire et ancrent les futures improvisations dans une réalité et une sensibilité de parcours. Chacun·e peut se replonger dans la rencontre du matin et la faire maturer jusqu’au moment de la représentation. À l’arrivée d’une nouvelle étape, chaque comédien·ne est en mesure de se faire un très court résumé de ce qu’il compte improviser.
Dès le premier jour l’équipe pense à une fiction. Celle ci n’apparait pas immédiatement. Nous avons besoin de 2 à 3 jours pour trouver ensemble une amorce d’improvisation que nous mènerons collectivement chaque soir et que nous mèneront jusqu’à son dénouement au J8.
4) Constituer un public « l’Invitation au spectacle »
En tant que compagnie de théâtre nourrie d’idéaux de « culture pour tous » et d’éducation populaire nous avons à coeur de faire du projet de notre Cie, un théâtre accessible, qui déplace et se déplace. Nous arrivons à obtenir ce résultat lors de nos itinérances, grâce à une pratique que nous avons mis du temps à conceptualiser tant elle était simple : l’invitation. Car il s’agit ici que chacun·e se sente invité·e et attendu·e. Nous n’avons trouvé que l’invitation directe, patiente, obstinée, les yeux dans les yeux, inattendue, tombant « mal » ou « à pique ». Nos invité·e·s convient à leur tour leurs ami·e·s, familles, voisin·e·s. Nous invitons tout le monde, avec la même suspension de jugement que celle qui motive nos interviews le matin.
Depuis, nous en faisons une discipline, très volontaire, dont les espoirs sont parfois douchés mais dont les réussites sont absolument précieuses. Non pas uniquement pour nous, mais aussi pour les personnes qui nous ont accordés du temps d’interview et le public présentement constitué. Nous n’avons trouvé que l’invitation pour rassembler une vraie disparité, une vraie diversité. Nous n’avons trouvé que l’invitation pour que cette diversité reste assister au temps d’assemblé en fin de représentation et y participe.
5) Les spectacles
De manière générale, les spectacles dépendent des collectes d’interviews réalisées le matin et des lieux dans lesquels ils sont joués. Les spectacles sont gratuits. La durée varie entre 30 minutes et 1h. Dans ce cadre, nous nous affranchissons de toute technique liée habituellement à l’idée de spectacle. Nous travaillons ainsi à notre adaptabilité. L’espace de jeu a été pré-établi en amont mais une fois sur place, il peut être décidé pour des raisons pratiques et de confort de changer de lieu (ensoleillement, bruit de circulation, travaux…).
Au Jour 2 ou Jour 3, l’équipe amorce en deuxième partie de spectacle une fiction qui s’additionnera chaque jour d’une ou deux scènes pour faire avancer l’intrigue. Ainsi au Jour 8 la fiction sera finalisée et jouée intégralement.
6) L’Assemblée
Une fois la représentation donnée, une discussion s’ouvre avec le public. Nous appelons ce temps « l’Assemblée », sa durée peut être égale ou supérieure à celle du spectacle ce qui est un signe d’intérêt du public. Nous encourageons les membres de l’Assemblée a échanger ensemble sur les thématiques que nous avons aborder théâtralement. Il est fréquent que l’imaginaire stimulé par chacun·e apportent de la matière à la fiction que nous poursuivons le lendemain. Enfin nous n’acceptons aucunes rétributions puisque ce projet est soutenu par des tutelles publiques mais informons le public que nous cherchons le logis pour la nuit pour une Recherche-Action-Relation incarnée.
Crédit Photo Cie Augustine Turpaux.
L’équipe artistique des Itinérances Théâtrales 2023 était composée de Mona Sheuer-Rothan, Erwann Mozet, Lorine Wolff, Théo Perrache, Judith Rutkowski, Jul Donner et Anne-Sophie Ortiz-Balin.
